Le déplacement de la cour du roi a toujours occasionné de multiples festivités dans les villes honorées. Celles-ci rendaient un hommage appuyé au souverain en déplacement, et quand le royaume sortait d’une période de troubles confinant à la guerre civile, le roi venait vérifier le degré d’allégeance de ses « bonnes villes ». Il défilait alors dans la cité, montrant ainsi sa puissance, à la tête d’un cortège qui se voulait impressionnant.
Les siècles défilent et le roi d’aujourd’hui s’est fait moderne : il décentralise ses ministres et leurs conseillers, s’immisce dans nos vies privées à tout moment. Difficile d’en réchapper…
Rendue public il y a à peine dix jours, la tenue, à Lyon, du CIACT -Comité Interministériel d’Aménagement et de Compétitivité des Territoires- a permis de vérifier que nos gouvernants sont de plus en plus éloignés des citoyens.
Arrivés en TGV, les ministres ont pris place dans cinq bus et plusieurs voitures de forte cylindrée. Bien évidemment, la gare de la Part-Dieu avait été presque totalement bouclée par les forces de l’ordre. En fait, tout est géré comme serait gérée la venue de stars du show-business ou du sport : annonce du déplacement, arrivée presque en catimini suivie par la presse accréditée, déploiement suffisamment visible et dissuasif des forces de l’ordre, départ vers le lieu de rendez-vous sous escorte.Pour ceux qui ne connaissent pas Lyon, il faut rappeler que l’on peut aller de la gare de la Part-Dieu à la préfecture, lieu de rendez-vous du CIACT, en 5 minutes…en tramway…
Mais non, nos élites actuelles préfèrent la mise en scène qui permet de se soustraire à la foule. La mise en scène, car on peut comparer le défilé des bus, motards, voitures de police, en tout plus d’une trentaine de véhicules, au cortège de l’entrée du roi. Mais alors que celui-ci défilait au contact de ses sujets, les vice-rois actuels fuient ostensiblement le contact direct avec la foule, sauf à l’organiser dans tous les détails.
Cette mise à distance, cultivée à souhait, trahit bien la difficulté de tous les gouvernants à créer une certaine empathie avec les citoyens. Cela renforce aussi l’idée que le pouvoir est intrinsèquement secret et inaccessible, donc forcément sourd et aveugle.
Cette mise à distance est concommittante d’une omniprésence médiatique. Les gouvernements sont sommés de résoudre en temps réel des problèmes complexes : c’est le revers de la médaille technologique. Ce sur-investissement du présent a un autre effet : l’abolition de la distance physique. Si je suis toujours là en temps et en heure, même à travers un écran d’ordinateur, je finis par devenir comme physiquement présent. Nul n’est besoin alors du contact réel, physique avec les citoyens.
La réaction de Nicolas Sarkozy -le désormais fameux « casse-toi pauvre con »-, mais aussi les préfets et autres commissaires « placardisés » pour n’avoir pas pu prévenir toute irruption du réel dans l’ordonnancement du spectacle du pouvoir, sont à mettre au crédit d’une distance de plus en plus grande entre les effets du pouvoir et son spectacle. La virtualité menace notre démocratie.